Lettre d’un étudiant, homme du peuple,
aux aristocrates doctrinaires
Le plus habile marchand de mensonges imprimés, flétrit, dans sa quasi-légitimité, tout ce que les amis de la liberté honorent. De jeunes hommes pleins de courage et de patriotisme redemandent à grands cris la liberté qu’ils ont gagnée et qu’on leur a volée. Ils la veulent, non pas pour eux seuls, mais pour tous; largement, sans restriction, sans monopoles. Ils veulent la souveraineté du peuple en pratique et l’abolition de toutes les hérétidés. Ils veulent l’extermination de tus les abus, l’économie et la morale à la place de la courtisanerie et de la corruption, et parce qu’ils connaissent assez bien leurs droits et leurs deoirs de citoyens libres pour demander l’élection des représentans de la nation pour tous les citoyens qui y sont tous également intéressés, car la loi les oblige tous; parce qu’une royauté fastueuse et fainéante leur paraît le plus grand obstacle au bonheur de la France, parce qu’ils demandent enfin une république représentative où le pouvoir exécutif soit contenu par des dignes insurmontables, où les autorités judiciaires et administratives qui pèsent si directement sur les citoyens soient élues par eux, où la responsabilité des agens de la nation ne soit plus un vain mot, où les traîtemens de fonctions publiques ne soient plus que la rigoureuse indemnité du travail que la patrie exige des fonctionnaires, on les présente à l’opinion publique comme des perturbateurs parodistes maladroits d’une époque grandiose et sublime, que certains hommes appellent la terreur, et à juste titre, puisqu’elle a fait trembler tous les rois en frappant un roi parjure.
Les étudians de juillet, coupables d’avoir méprisé les conseils de l’ordre légal, quand le sang ruisselait dans Paris, irretent la susceptibilité nerveuse de M. Caismir Périer. Il demande de lâches accusateurs. Qui doit répondre? le Journal des Débats1; c’est son métier, à lui; c’est mon devoir, à moi, de protester, au nom de mes camarades, qui partagent mes doctrines.
Il nous reproche l’exaltation et le bouillonnement de nos idées; eh bien, il a raison, car nous sommes les plus mortels ennemis de ses patrons. Nous bouillonnons de colère contre ceux qui vendent à l’étranger et aux privilégiés la liberté qu’ils n’ont pas payée. Nous bouillonnons de colère contre ceux qui ressuscitent ce système immoral de bascule et de déception avec lequel on trompe de généreux ouvriers qui ne tarderont pas à reconnaître leur erreur, et n’en seront que plus redoutables aux hommes qui s’efforcent de les avilir et de les dégrader afin de mieux les opprimer. Nous sommes transportés d’indignation contre une législation inique, protectrice du fort et du riche, et marâtre du faible et du pauvre. Nous voulons dérober au fisc l’argent qui paie le pain de l’honnête ouvrier. Nous voulons lui faire connaître tous ses droits et tous ses devoirs dans la société, dont il supporte presque toutes les charges. Nous voulons entretenir son enthousiasme qu’on veut éteindre, réchauffer son ardent amour pour la liberté, associer avec son bien être matériel ses droits politiques qu’il comprend et qu’il réclame comme une propriété inaliénable; disposer ses bras nerveux pour la défense du pays; l’aider enfin à se débarrasser de ses ennemis du dedans avant d’attaquer ceux du dehors.
On nous reproche d’estimer Robespierre et Saint-Just, de nous éprendre d’amour pour l’anarchie sanguinaire de 93. Nous ne craignons pas de répondre: Oui, nous aimons ces grands citoyens; oui, nous admirons tout ce qu’il y avait de grand, de généreux dans l’âme de ces vertueux républicains, qui n’ont pas craint de soulever la haine de leurs contemporains, satisfaits d’en appeler des passions du moment au jugement impartial de la postérité... La postérité! nous la commençons, et parties désintéressées dans ce grand procès, nous ne cesserons de prendre la défence de cette glorieuses partie de notre révolution, et de dire à ses éternels accusateurs: Cessez de récriminer avec votre sensiblerie de commande, contre des événemens dont l’humanité a sans doute à pleurer, mais qui n’en ont pas moins sauvé la France. Dépréciateurs des plus grandes supériorités révolutionnaires, accordez-vous au moins sur vos reproches, car tantôt vous leur reprochez leur enthousiasme et leur délire démagogique, et tantôt vous leur reprochez leur conscience vendue aux étrangers et à ceux qui stimulaient si bien leurs vengeances. Les ennemis de la république salariaient l’anarchie pour reparaître avec son aide, dans une position anti-sociale que le peuple leur refusait. Mais leurs agens ont trouvé Robespierre et Saint-Just incorruptibles; ils sont morts aussi pauvres qu’Aristide. Partout où ils ont rencontré la corruption, ils l’ont renversée. La commune d’Hébert det de Chaumette s’est présentée dans l’arêne de la liberté, ils l’ont cassée. L’homme aux grands coups, l’énergique Danton, effrayait l’austère vertu des purs Montagnards par son immense dépravation. L’incorruptible a signé son arrêt de mort.
La Montagne, où dominaient les deux colossales figures de Robespierre et de Saint-Just, a eu la force de surmonter les plus grandes difficultés après avoir donné un gage à la révolution et étonné les tyrans par la mort de leur frère; elle a écrasé le fédéralisme girondin, et le royalisme plus adroit qui profita de ses manoeuvres. Quand elle a pris la dictature, la disette épouvantait le courage de la France; l’absence de numéraire et la dépréciations des assignats rendaient sa position de plus en plus difficile. Toutes nos armées étaient battues; une complète désorganisation les travaillait; ses chefs trahissaient ouvertement; l’aristocratie triomphante levait la tête dans les départemens; Lyon, la Vendée, Bordeaux et Marseille étaient infectées de royalisme, et Toulon vendu aux Anglais. La convention élève sa voix; elle demande de l’audace, toujours de l’audace, et encore de l’audace. Le peuple se précipite aux armes, l’ennemi est vaincu, l’aristocratie anéantie; la convention a mérité des autels.
Et l’on veut que devant tant de travaux et de services rendus nous épousions les colères et les haines de ces vieillards débiles auxquels on demande la vérité. On veut des larmes et des regrets pour tant de gloire: arrière-pleureurs, arrière-esclaves de tous les régimes, la terreur vous a épargnés! tant pis, car vous embarassez notre marche.
Vous nous reprochez d’enlever aux ouvriers leur industrie et leur travail pour leur donner en revanche la République: hé! les nourrissez-vous avec vos fallacieuses promesses d’institutions républicaines, avec votre trône constitutionnel brodé d’or et d’argent, et entourné des valets de toutes les légitimités? Les nourrissez-vous avec l’impôt sur le sel, l’impôt sur les boissons, et toutes ces mille entraves que le peuple vous reproche!
Son admirable bon sens l’éclaire sur la véritable valeur des émeutes, dites vous; mais qui l’éclaire donc sur le caractère des étudians si ce ne sont vos agens et quelques ouvriers que vous avez payés pour nous calomnier et nous assommer2?
Vous avez voulus opposer en décembre les étudians au peuple3, et en mars les ouvriers aux étudians, et établir ainsi entre eux une haîne qui put servir à votre despotisme. Mais vos coupables projets ne réussiront pas: le peuple reconnaîtra bientôt ses véritables amis, et au jour prochain de sa justice souveraine, ils se vengeront ensemble des griefs accumulés contre un pouvoir usurpateur, qui détache chaque jour une pierre du fragile édifice que quelques intrigues lui ont élevé.
1 Article du 21 mars.
2 M. Agier, député et colonel de la 12e légion, a osé adresser aux ouvriers réunis sur la place du Panthéon avec les étudians des deux écoles cette dangereuse apostrophe: « Ouvriers, mes amis, vous êtes des braves, précipitez-vous sur cette canaille d’étudians qui vous enlève votre travail. » De telles paroles n’ont pas besoin de commentaire.
3 On ne croira pas que j’ai voulu établir aucune distinction entre le peuple et les étudians, quoiqu’elle soit apparente. Les étudians sont une fraction du peuple de même que la corporation des maçons, etc., et j’estime plus un honnête chiffonier que le ministre autrefois plébéien qui insulte au peuple par son luxe de valets hupés.